Le lait humain en tant que « chrononutrition » : implications pour la santé et le développement de l’enfant
Voici un résumé de l’étude « Human milk as “chrononutrition”: implications for child health and development » qui a été publiée sur nature.com en 2019.
Concept de chrononutrition:
L’étude souligne que le lait humain est une forme puissante de « chrononutrition », c’est-à-dire qu’il est formulé pour communiquer des informations temporelles aux nourrissons. La composition du lait change en fonction du moment de la journée, avec des niveaux plus élevés de cortisol et d’acides aminés qui favorisent l’activité pendant la journée, et des niveaux plus élevés de mélatonine et de tryptophane la nuit pour favoriser le sommeil et la digestion.
Lait exprimé et circadiens:
85% des nourrissons allaités aux États-Unis consomment du lait qui ne vient pas directement du sein mais qui est exprimé et stocké à l’avance. Ce lait exprimé n’est pas nécessairement synchronisé avec les rythmes circadiens, ce qui peut perturber les rythmes circadiens en développement des nourrissons, contribuant potentiellement à des problèmes de sommeil et à une moindre synchronisation physiologique avec leurs mères et leur environnement2.
Impact sur le développement des nourrissons :
Les nourrissons représentent une étape importante pour la programmation circadienne, et le lait humain peut avoir évolué pour faciliter le développement de rythmes circadiens stables. Il est donc plausible que le lait non synchronisé puisse perturber ou retarder le développement des rythmes circadiens, avec des effets potentiellement significatifs sur le sommeil et la santé des nourrissons.
Manque de recherche et de recommandations :
Malgré les implications potentielles pour la santé publique, le moment de la distribution du lait a fait l’objet de peu d’études empiriques, et aucune grande organisation pédiatrique ou de santé publique n’a émis de recommandations concernant la synchronisation circadienne du lait. De plus, il n’existe aucune étude sur la question de savoir si le lait décalé dysrégule l’horloge circadienne du nourrisson.
Perte de poids excessive
Une perte de poids supérieure à 10 % à H72 expose, à court terme, à un risque de désordres métaboliques (hypoglycémie, déshydratation hypernatrémique, ictère) (6, 8, 38) ; à moyen terme, à un retard au rattrapage du poids de naissance et, à long terme, à un arrêt précoce de l’allaitement (découragement et doute maternel). Une perte de poids excessive chez un enfant allaité exprime clairement des difficultés d’allaitement qui n’ont pas été repérées, ni prises en charge à temps. Cela expliquerait la perte de poids plus importante chez les enfants premiers-nés (8, 34, 38) en raison du manque d’expérience maternelle. La qualité de l’accompagnement repose sur l’apprentissage de critères d’observation cliniques, méconnus ou négligés au profit de la courbe de poids, dont la tenue demande moins de temps et d’engagement.
Par ailleurs, les pratiques de puériculture peuvent majorer les pertes hydriques et caloriques, notamment le bain quotidien quand il est cause d’agitation, de pleurs excessifs ou d’hypothermie (9, 25). Lors d’une naissance par césarienne, une installation incorrecte en peau-à-peau peut aussi être source de refroidissement par la climatisation du bloc opératoire.
Enfin, il est courant d’observer que la préoccupation des médecins pour les chiffres exerce une pression psychologique sur les soignant(e)s qui la répercutent aux mères, portant ainsi préjudice à la confiance nécessaire pour allaiter (50). Cet effet est renforcé par la réduction du séjour en maternité à moins de trois jours, ce qui laisse trop peu de temps pour que l’allaitement soit établi sereinement. En effet, la reprise ou la stabilisation du poids est présentée comme le sésame qui permet le retour chez soi, un objectif rarement atteint avant le troisième jour avec un nouveau-né allaité. La courbe de poids peut être faussement inquiétante si la naissance a eu lieu en début de nuit, la première colonne ne représentant alors que quelques heures. Enfin, un changement de balance risque aussi d’introduire un écart de mesure.
Surveillance glycémique
La surveillance de la glycémie capillaire a connu ces dernières décennies une diffusion excessive dans beaucoup de maternités. D’utilité reconnue pour la surveillance des enfants à risque, notamment prématurés ou hypotrophes, ce geste trop simple a été étendu à des situations qui ne le justifient pas, comme un jeûne prolongé chez un nouveau-né eutrophe, à terme ou proche du terme. Ce jeûne des premiers jours a d’ailleurs été volontaire, voire ritualisé, dans bien des cultures et des époques, sans que les enfants en pâtissent (46). Dans cette situation, il a été montré que la glycémie peut descendre sans dommage au-dessous des seuils habituels d’intervention (1, 27, 28). La constatation d’une glycémie jugée basse aboutit trop souvent à un apport de compléments chez des enfants pourtant asymptomatiques. En effet, leur cerveau est capable d’utiliser des carburants alternatifs pendant les trois premiers jours (29, 30, 54) : d’une part, les lactates (28) libérés par le muscle utérin pendant le travail et, d’autre part, les corps cétoniques abondamment produits par le catabolisme des graisses, réserve énergétique constituée par le fœtus en fin de grossesse (33). Ce processus physiologique, déjà en place avant la naissance (7), est largement méconnu des soignants : cela est bien regrettable, car ce mécanisme est inhibé par l’apport de sucres qui déclenche une insulinosécrétion.
Effets délétères de l’administration de compléments
L’ingestion, même temporaire, de préparations commerciales pour nourrissons est loin d’être anodine (4).
En sensibilisant au lait de vache, elle peut être le point de départ d’une allergie qui perturbera la première année de vie chez 2 à 7 % des nourrissons (31) : c’est l’une des plus fréquentes allergies alimentaires de l’enfant, avec une forte responsabilité dans les accidents mortels (3). De plus, il est maintenant établi
que la modification durable du microbiote qu’elle occasionne (13, 26) implique sa responsabilité dans les maladies allergiques et dans l’asthme de l’enfance (26), ainsi que dans la fréquence des infections des deux premières années de la vie (16).
Toutefois, un complément ponctuel d’un volume limité peut se justifier sur prescription médicale devant une perte de poids excessive et peut, dans ce cas, rassurer la mère pour la suite de l’allaitement (19, 22, 50). À vrai dire, cette situation pourrait souvent être évitée par un accompagnement adapté de l’allaitement.
Propositions pour éviter l’apport de compléments
Reconsidérer la pesée du nouveau-né :
- Prendre comme poids de référence le poids de H24 afin de réduire l’influence des perfusions maternelles sur la chute de poids (15)
- Évaluer la corpulence des enfants dont le poids est aux centiles extrêmes, ainsi que la morphologie de leurs parents, pour définir s’ils entrent dans une catégorie à risque ou non
- Remettre en question la pesée quotidienne en maternité en lui substituant une évaluation valide des tétées
- Réserver la surveillance de la glycémie capillaire aux seuls enfants à risque, en fonction de protocoles tenant compte des mécanismes de transition métabolique chez le nouveau-né
Créer des conditions favorables à l’initiation de l’allaitement :
- En salle de naissance, favoriser le peau-à-peau immédiat qui permet l’échange des regards et facilite la première tétée en déclenchant la sécrétion d’ocytocine (Annexe 1)
- Pendant le séjour en maternité, permettre la proximité mère/enfant la plus continue possible et rendre la mère proactive, accompagnée mais non dirigée.
- Former les professionnel(le)s à l’évaluation des tétées avec des critères d’observation validés (14), la surveillance du poids venant seulement confirmer les observations (Annexe 2)
- Avoir une attention particulière pour les situations reconnues plus fragiles : primipares, mères plus âgées (38) ou très jeunes, césariennes.
- Il est inconcevable de laisser sortir une mère du service de maternité sans qu’elle ait pu repérer ce qu’est une vraie déglutition de son bébé
Tracer l’apport de complément qui est un acte loin d’être anodin :
- Indication et prescription médicale qui le justifie
- En faire mention dans le Carnet de Santé en raison du risque d’allergie ultérieure